De quoi parle-t-on ?

J’ai décidé de rédiger une charge environnementale et sanitaire dès mes débuts en tant que céramiste, que j’ai choisi de laisser accessible au public afin d’être entièrement transparente sur mes pratiques et garantir à mes clients que leur santé et celle de leur environnement est prise très au sérieux.

Cette charte renvoie à ma démarche professionnelle d’intégrer des pratiques responsables, environnementales, éthiques et sécuritaires dans le cadre de la fabrication de mes céramiques et de mon enseignement dispensé auprès de mes élèves.

Une promesse faite de moi à moi-même en somme, pour améliorer les choses à mon échelle.

 

Pourquoi ?

Entre 2023 et 2024 et en attendant la construction de mon studio de poterie, je me suis donnée l’objectif de parcourir la France afin d’apprendre auprès de différents céramistes et comprendre les philosophies, traditions et pratiques qui se trouvent derrière.

J’ai visité l’Alsace, la Bretagne, la Bourgogne, la région parisienne, le Var, le Gard, l’Aveyron, le Rhône et les Alpes Maritimes… j’ai fais des formations de tournage de toute sorte, d’émaillage, de recherche d’émaux, de modelage, de terres craquelées, de prévention et santé, de surfaces alimentaires, de slow throwing, de méthodes traditionnelles asiatiques, …

Ce qui m’a frappé le plus c’est la diversité des procédés de fabrication. Chaque artisan a sa méthode, ses gestes, sa discipline, qui s’inscrivent parfois dans des traditions vieilles de plusieurs dizaines d’années.

Mais ce qui est une richesse peut aussi être une limite. Ce que j’ai observé – mais que je comprends en un sens – c’est que nous, artisans, avons du mal à remettre en question des dogmes établis.

“La couverte au plomb a toujours marché, pourquoi faudrait-il s’en passer ? C’est la plus stable qui existe !”

“Je mélange mes bains d’émaux en y plongeant ma main. Je n’en suis pas mort.”

“Il faut arrêter de voir le mal partout. L’air est bien plus pollué que nos céramiques.”

“J’accepte les enfants dans mes ateliers de céramique et bien sûr ils ont accès à toutes les couleurs !”

“Si je commence à contrôler la provenance et la composition de mes terres et de mes émaux, à ce rythme je ne ferai plus rien du tout !”

“On mourra bien de quelque chose.”

“Tous les autres font pareil. Pourquoi je me mettrai à faire attention, au risque que ça ne pénalise que moi ?”

“C’est vrai que ma pièce n’est pas tout à fait réussie, mais… oh j’en ferai une boîte pour y mettre quelque chose. Je veux la garder et la cuire.”

Toutes ces phrases je les ai entendues des dizaines de fois alors que cela ne fait que deux ans que je me suis professionnalisée !

A ces gens, élèves et professeurs, utilisateurs ou non de céramiques artisanales, je leur pose une question : doit-on continuer à ignorer les dangers et impacts que notre activité génère sous prétexte qu’on a toujours fait ainsi ?

En cours du soir, j’ai cité un exemple très concret à mes élèves à l’école des Arts Céramiques de Vallauris :

Si vous venez dans mon cours et que vous tournez une tasse. Vous la décorez avec un engobe bleu nuit mais vous ne savez pas ce qui compose votre décor, vous l’émaillez avec une couverte transparente dont vous n’avez aucune idée de la composition. Vous adorez votre tasse. Vous l’offrez à votre fille de 3 ans, qui l’adore à son tour. Elle l’utilise tous les jours, jusqu’à ses 20 ans, elle y boit du thé, des jus de fruits. La tasse décolore, elle perd sa couleur au fil du temps, devient blanchâtre, voir même change de texture.

Est-ce-que moi, la céramiste qui vous a permis de faire cette tasse et de l’offrir à votre fille, qui n’a aucune idée non plus de la composition des produits que j’utilise, suis-je exempte de faute morale ?

Il m’est impossible de concevoir et de permettre aux gens qu’ils puissent créer sans savoir avec précision, de quoi il retourne. Dans quoi mangez vous, quelles sont les vapeurs et particules que vous respirez, à quoi exposez vous les poumons de vos enfants, qui sont les êtres humains et quelles sont les conditions dans lesquelles sont produites les matières premières que vous utilisez, qu’est ce que représente en termes écologiques la cuisson d’une pièce dont vous êtes à moitié satisfait ?

Dans cette exemple, votre fille a sous doute ingéré une grande partie du cobalt qui colorait la tasse et qui a été fragilisé puis détaché de la céramique au fur et à mesure que vous passez la tasse au lave-vaisselle, que vous la rayez avec des couverts, que vous l’entreposez sur et sous d’autres pièces qui frottent contre elle.

De la même manière que vous n’accepteriez pas de consommer du poisson plein de mercure si on vous met une grosse étiquette “MERCURE” dessus, vous n’accepteriez pas de boire du thé dans une tasse qui relargue du cobalt ou du baryum si on vous disait ce qui compose votre tasse, je me trompe ?

Je ne peux pas faire grand chose sur la qualité des aliments que vous ingérez ou celle de l’air que vous respirez mais je peux agir sur ce qui est de l’ordre de ma compétence : la céramique.

Voilà pourquoi j’ai décidé de rédiger une charte, afin de m’auto-contraindre à la plus haute exigence de santé et environnementale. Cela n’engage que moi et je gage que la majorité d’entre nous faisons au mieux, c’est pourquoi je ne jette pas la pierre. J’essaye juste, à ma petite échelle, de travailler autrement.