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De nos jours, ni industriels ni artisans ne récoltons nous-mêmes l’argile.
Quelques irréductibles artisans s’y essayent mais dans des quantités infinitésimales et le travail considérable de préparation de la terre en fait un métier à part entière.
L’argile est extraite de gisements qu’on trouve plus ou moins partout sur notre croûte terrestre. Ces gisements sont exploités dans d’immenses carrières, principalement à ciel ouvert.
Des excavatrices sont utilisées pour retirer et sélectionner des catégories d’argile, qui sont ensuite déplacées vers des installations de stockage et de mélange à l’aide de camions à benne basculante.
La plupart des argiles ainsi extraites sont séchées, broyées et vendues à des fabricants d’argile qui la mélangent à d’autres minéraux pour créer des corps d’argile exploitables qui seront vendus pour la production de céramique. C’est ce qu’on appelle les “pâtes céramiques”.
En réalité, l’argile de nos céramiques est rarement utilisée telle quelle.
Elle est souvent transformée par l’addition de minéraux et d’oxydes améliorant ses attributs (comme sa plasticité). La faïence (terre cuite à basse température) et le grès (terre cuite à haute température) sont produits ainsi.
Seules l’argile à brique et l’argile réfractaire (qui demandent un processus d’extraction encore plus complexe car situé plus en profondeur) sont utilisées sans transformation. On ne fait que les nettoyer.
Quant à la porcelaine, elle nécessite encore plus de travail. Elle n’existe pas naturellement, c’est systématiquement une argile créée à partir de silice, de kaolin et de feldspath. Pour extraire le kaolin de la roche, les carrières utilisent de puissants jets d’eau, lesquels créent une boue, qui est ensuite filtrée de multiples fois et mise à sécher, pour donner la poudre que nous connaissons.
On a beau dire que l’argile est une ressource naturelle, la matière que nous travaillons est issue d’une longue chaîne de préparation et consommatrice d’une énergie considérable.
Les carrières à elles seules sont problématiques car les nuisances sont nombreuses : rejets de poussières dans l’air (problème de la silicose), contamination des eaux de surface ou souterraines, impacts sur la faune et la flore, dégradation des sols, nuisances sonores, trafic de camions, vibrations dues aux explosifs…
Une fois les gisements épuisés, reste la question de leur remise en état. Nombreux sont les projets proposant des retours en terre agricole, reboisement, transformation en espaces de détente ou loisirs, pisciculture, décharge contrôlée, zone industrielle… mais est-ce suffisant ?
D’un point de vue personnel, je crois qu’il est nécessaire pour nous de nous poser ces questions : qu’est ce que je manipule, qu’est ce que je crée, quelle est la trace que je laisse dans le monde ?
Comprendre d’où vient la matière que nous utilisons, comment celle-ci est fabriquée et dans quelles conditions, nous permet de prendre la mesure de la préciosité de l’argile.
L’argile n’est pas une matière renouvelable, loin de là. C’est une ressource fossile, qui prend tellement de temps à se former par sédimentation qu’on ne peut pas miser sur son renouvellement.
Et autant l’argile se recycle tant qu’elle est crue, car on peut la réhumidifier pour la transformer à nouveau à l’état de pâte, autant, elle est perdue une fois cuite.
Que fait-on alors des déchets inhérents à notre pratique d’artisan ? A celle de nos élèves ?
Bien que nous ne pouvons pas agir sur les grandes compagnies exploitant les carrières, il existe – à notre échelle – des solutions pour diminuer notre trace carbone (sélection des pièces abouties, recyclage en circuit fermé, tri des eaux de lavage …).
Ces réflexions sont celles que je tente – à ma petite échelle – d’instiguer à mes élèves. Lorsque j’explique à ces derniers quelles sont les ressources et l’énergie qui ont dû être consommées pour que cette matière arrive entre leurs mains, ils voient d’un tout autre œil les ersatz de leurs premières pièces – auxquelles ils étaient attachés tantôt.
Le deuil de la pièce maladroite se fait vite et facilement, on recycle la terre crue, et on recommence, jusqu’à arriver à un résultat pour lequel nous pourrons nous dire : “je serai fier que cette pièce me survive.”